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Plus étonnant encore, exceptionnel dans l’art africain: les bras, sur cette pièce, sont articulés, puisque l’axe qui traverse les épaules permet de les tendre à l’horizontale ou de les incliner. On pourrait croire qu’il s’agit d’un procédé récent. Il n’en est rien, puisqu’on le retrouve sur des figures qui, révélant une flagrante parenté plastique, furent collectées dès les débuts de la colonisation. Ainsi, au musée d’Abidjan encore, plusieurs statues akyé (au bois noirci, non recouvert de feuilles d’or) comportent de tels bras articulés : une statue féminine de taille similaire (45 cm) et une autre d’homme, plus haute (65 cm), provenant de l’ancienne collection de René Bédiat, marchand de bois antillais fixé en Côte d’Ivoire au cours des années 20 et décédé en 195817. Geste d’offrande ou de récipiendaire ? Que pouvait contenir l’espace circulaire dessiné par les doigts soigneusement disposés en arrondi ? Des coupelles destinées à recevoir ce que les « Lagunaires » appellent le nvufu (une offrande qui consiste en une pâte d’igname ou de banane mélangée avec de l’huile et du jaune d’œuf) ? Plus probablement, des hampes ou des sceptres devaient être insérés dans cet intervalle, ce qui conférait à la statue prestige et puissance. C’est, une fois de plus, ce que l’on peut observer sur une pièce célèbre du musée d’Abidjan18 attribuée aux Odiukru. Dernière possiblité, fréquente en Côte d’Ivoire19 : les deux mains n’ont jamais rien contenu, ou rarement. Dans ce cas, leur apparence devient, en tant que telle, l’offrande elle-même, ou son simulacre, comme si elle affichait l’idée même de donation, ou son symbole. Le placage d’or Naturellement, dès le premier regard, le spectateur est surtout ébloui par la profusion de feuilles d’or qui, pour magnifier et transfigurer la statue, recouvrent l’âme de bois, dans sa totalité, sans laisser aucun espace, si l’on excepte de menus accrocs, des manques et arrachages, témoins de l’âge ancien de la pièce et de manipulations, lorsqu’il fallait la transporter entre les cases. Pour quiconque connaît les sceptres surmontés d’animaux, arborés aujourd’hui, par ces mêmes populations, dans la région des lagunes, lors de cérémonies de classes d’âge, un élément saute aux yeux : alors que les feuilles d’or, désormais d’une minceur infime (moins qu’une feuille de papier à cigarette !) sont simplement collées, on voit sur cette pièce qu’elles sont épaisses et que, modelées sur le bois, elles furent fixées avec des agrafes : « tiny gold staples », selon les termes du grand spécialiste de l’or africain, le regretté Tim Garrard. Une technique ancienne, d’après lui abandonnée, voir son livre Gold of Africa, au début du XXe siècle, en faveur du « glueing », le « collage »20. Sur cette œuvre, comme le placage est effectué par martelage des lamelles d’or sur les incisions de la surface ligneuse, le résultat obtenu est un magnifique réseau de stries juxtaposées, entrecroisées, triangles, losanges, carrés. Un corps entier soumis à des scarifications ? Dans la réalité, il faut bien le dire : c’est, en Afrique, une impossiblité absolue21. La statue bascule dès lors dans l’extraordinaire et acquiert une dimension surnaturelle, fabuleuse, presque fantasmagorique. Pourquoi un tel déploiement d’or ? Pour les « Lagunaires » comme pour les Akan22, le fait est bien connu : ce métal n’est pas un simple ornement, mais une substance « vivante », presque magique. Ils lui attribuent une force intrinsèque, d’essence divine. Certains ne disent-ils pas, aujourd’hui, qu’il est pour eux comme un être humain, doté d’une personnalité, ou qu’il peut croître comme un végétal, tout en possédant le privilège de ne jamais mourir, comme le soleil ? Ils assurent qu’il contient un esprit qui donne une puissance absolue. Mais l’or joue un rôle plus essentiel encore en raison de l’importance de l’héritage sacré qui