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forcer le trait ? D’autant que, comme l’a montré Denise Paulme, « les Atié [Akyé] pas plus que leurs voisins lagunaires n’ont jamais enduré de pouvoir politique supérieur à celui du village » : « A la différence des Ashanti » [du Ghana], « leur système politique ne dépasse pas le niveau local »28. Ce qu’affirmait déjà en 1896 le capitaine Crosson29. Ni M. B. Visonà, ni Amon d’Aby, ni A.-M. Bouttiaux30 ne parlent de « reines des lagunes ». C’est dire que ces « reines » n’ont jamais existé que dans l’imaginaire de quelques Occidentaux. Pourquoi ce fantasme, naturellement valorisant ? Dans un premier temps, les voyageurs ont employé ces termes comme solution de facilité. Dès 1686, O. Dapper, qui n’a jamais connu l’Afrique, évoque, sur cette côte, l’un des premiers, l’existence de « petits Royaumes ou Provinces »31. Mention souvent reprise : inutile de multiplier ici citations, références, d’autant qu’il faudrait parler d’un imposteur, le « prince d’Assinie » Aniaba, protégé de Louis XIV, qui se révéla être simple cultivateur quand il revint en Côte d’Ivoire32. On ne voit souvent que ce que l’on imagine. A la fin du XVIIIe siècle, un ouvrage, longtemps beaucoup lu, note, à propos des « Lagunaires », que : « Leur roi a une autorité absolue sur ses sujets, et ne paraît jamais en public qu’avec beaucoup de pompe »33. Ensuite, les missionnaires reprennent ces termes, et enfin aujourd’hui les peuples des Lagunes usent couramment du mot de « rois » quand ils parlent en français, mais ils n’évoquent pas, dans ce cas, de dirigeants politiques, mais des individus riches, connus pour posséder beaucoup d’or: dire que l’on a un « roi » est gratifiant dans une société acéphale. Tout dépend de la traduction du vocable vernaculaire (issu de l’anyi répandu dans la région) d’afilié-kpangni ou (en akyé) de woyi. « Chef de tribu ? ». Mais le mot « tribu » est rayé du vocabulaire anthropologique, à juste titre. Traduire par « roi » revient à considérer qu’un royaume peut se borner à n’englober que quelques bourgades (Un seul exemple : les Ehotilé ne vivent que dans huit villages et leur langue, le « bétibé », disparaît depuis longtemps au profit de l’anyi). Ce qui est encore plus péjoratif à l’égard des Africains. Témoin cette moquerie raciste de 1772 : « Ce sont des rois qui valent à peine nos paysans »34. La seule traduction adéquate de afilié (ou wo en akyé) est donc clan. L’afilié-kpangni (ou woyi en akyé) est : le chef de clan ou patriarche.35 Une effigie processionnelle : idéalisation et féminité Revient donc, obsédante, la question : quel est le rôle de cette statue ? Très bref rappel : il n’existe, chez les Akyé et la plupart des « Lagunaires », que quatre types de statuaire : les statuettes de jumeaux (nda-tinlin pour ceux de même sexe ; takyi-nan-nda pour ceux de sexe différent) : à la mort d’un des deux, une statuette en bois, qui évoque l’ékanla, le double du défunt, est remise au survivant, qui la garde toujours. Deuxième catégorie : les statues de conjoints mystiques de l’ebolo (semblables aux blolobla ou bian des Baule). Mais ces statuettes, comme celles de jumeaux, sont petites : l’œuvre en question ne peut en être une. Troisième type : les statues de Koméa (l’équivalent du Komyen des Baule), c’est-àdire des effigies de guérisseurs qui entrent en transe, comme on le voit, dans la même région, sur une gravure du récit de voyage de Binger36. Or, ces statues, noircies, ne sont jamais décorées à ce point (il en existe encore quelques unes37). Dès lors, cette œuvre recouverte de feuilles d’or ne peut appartenir qu’à une quatrième catégorie : celle des grandes effigies qui lors de majestueuses processions avec des danses, étaient exhibées solennellement au public pour apparaître à la fois comme les gardiennes protectrices des célébrations et les « portraits » fantasmés des femmes qui dirigeaient les cérémonies, sans q