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Des dix-huit photographies retrouvées, cinq étaient jusqu’ici sans épreuves positives connues. Seules sept d’entre elles avaient été publiées ou exposées dans le catalogue de référence de l’exposition de la Bibliothèque nationale en 2002. Certaines épreuves présentées ici sont des variantes inédites de tirages connus qui figurent dans de grandes collections. Six des épreuves ont leurs négatifs verre au collodion conservés (parfois brisés) dans les collections de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. Le travail de Le Gray en grand format sur Paris est un regard sur une ville transformée par les travaux, dépouillée de ses ruelles et maisons médiévales. En 1859 Le Gray revient à la photographie d’architecture, dans laquelle il avait excellé en 1851, mandaté par la Mission héliographique pour documenter les sites et monuments d’Aquitaine et de Touraine avec Auguste Mestral (1812-1884). Il avait pu y exercer ses points de vue, ses perspectives, ses cadrages, ses compositions en grands formats, utilisant alors des négatifs papiers cirés secs dont les dimensions vont jusqu’à 30 x 40 cm. En 1859, Paris affiche une modernité qui en fait un sujet de prédilection des photographes du Second Empire. Les bâtiments, églises, ponts, monuments, places et jardins sont transcrits de manière grandiose par Le Gray, comme ils le sont aussi par les frères Bisson, Baldus ou Marville. La ville, en pleine mutation, fait l’objet d’un regard nouveau, politique et esthétique. Près de 20 000 maisons sont détruites, permettant ainsi de construire des boulevards, mais aussi de libérer des espaces autour de bâtiments autrefois cachés par les habitations. C’est le cas notamment de Notre-Dame (épreuve no I.).
Dans son travail monumental, d’une grande beauté et d’une sérénité absolue, Le Gray se distingue par son style habituel, marqué par la délicatesse de ses lumières, la subtilité des ombres, la sérénité de lieux déserts. Ses tirages sont très chauds, généralement virés au chlorure d’or. Comme un personnage de Zola, Le Gray s’est endetté fortement en 1856 pour ouvrir au Boulevard des Capucines un studio luxueux. Il n’est pas homme d’affaires, dépense beaucoup et vit généreusement. L’homme qui l’a financé à hauteur de 100 000 francs, le marquis de Briges, meurt en 1857. Le contrat est reconduit par ses deux fils. Ces derniers acculent finalement Le Gray à la faillite, qui est prononcée le 1er février 1860. Ruiné, endetté au-delà de toute mesure, et surtout dépouillé de l’œuvre de toute sa vie, Le Gray part pour l’Italie le 6 mai 1860. Il embarque à Marseille sur L’Emma, le bateau d’Alexandre Dumas, qu’il accompagne pour un improbable voyage, sans savoir qu’il n’y aura pas de retour possible. Six mois plus tard, comprenant qu’il ne pourra revenir en France, il confie une procuration à Léon Maufras, le secrétaire de Dumas, pour tenter, en vain, de défendre ses intérêts.
Le Gray continuera pendant les vingt-quatre ans qui lui restent à vivre une activité de photographe et de peintre en Orient, qui reste presque entièrement à découvrir. Et Paris avait ainsi perdu l’un de ses plus grands artistes photographes. Daniel Girardin
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