references
On remarquera que vers 1920, les amateurs « d'art nègre » tels que Paul Guillaume, André Lefèvre, Carl Einstein, Jacob Epstein et autres, ont vivement apprécié les têtes seules « pahouines », à coiffes en coques ou à tresses. Cette relative abondance d'un type bien particulier de sculpture tient probablement au fait que les « rabatteurs » – coureurs de brousse, forestiers, commerçants, militaires parfois – n'avaient accès dans ces années-là qu'à certaines régions relativement peu éloignées de la côte et des vallées principales, spécialement la zone de l'estuaire du Gabon, la région entre Libreville et Lambaréné, la vallée de l'Ogooué et ses affluents de la rive droite, dont notamment les rivières Abanga et Okano. La tête à tresses « Dumoulin », 24 cm, est une œuvre de grande qualité d'exécution qui atteste du talent sûr d'un maître-sculpteur, un ngengang. Pour tailler un tel objet, il fallait être initié, non seulement au maniement des outils (le mot mba désigne, dans sa forme nominale, celui qui sait tailler le bois – un sculpteur - ou la viande du gibier – un chasseur expérimenté -, et dans sa forme adjectivée, la bonne qualité des choses – mba-zam = litt. « une belle chose »), mais aussi à la maîtrise des forces occultes que ce travail bien particulier impliquait. Comme ailleurs en Afrique, les notions de beauté (dans l’apparence) et de bonté (comme qualité morale) étaient étroitement liées. Sculpter l'image d'un ancêtre était en effet un acte rituel en soi, de l’abattage de l’arbre à la sculpture et aux finitions des surfaces (patine) (cf. Perrois « La statuaire fañ, Gabon », 1972, chapitre 9, p. 141-148). Le visage convexe-concave à face « en cœur » présente un large front en quart de sphère. Les arcades sourcilières d'un bel arrondi symétrique déterminent d'une part le nez assez fort et épais à sa base, d'autre part les larges yeux aux paupières un peu gonflées, en « grain de café ». La bouche, dans l’arrondi des joues, est étirée vers l’avant, selon la « moue » fang habituelle, avec un menton très court. Les oreilles ne sont pas figurées. La coiffe à crête centrale et tresses ékuma est placée en arrière du front. Elle est constituée de quatre grosses tresses pendant deux à deux sur les côtés, et une autre plus courte et large, retombant sur la nuque. Elle figure une coiffe postiche nlô-ô-ngo, comme en portaient tous les Fang adultes jusqu’au début du XXe siècle.
Femme NTUMU, G. Tessmann, 1913 © DR
Fang, quinze années chez les Fangs, 1912 © DR
La patine de toutes les surfaces est satinée et laquée. Ce qui est remarquable, ce sont les décors gravés, tant sur le front (motif linéaire double dans l’axe du front et l’arête du nez, motifs en arc surlignant les courbes des arcades sourcilières) que sur les joues (sorte de bandeau en frise enserrant le visage en guimpe, à motifs très usés). Les motifs observés sur la tête « Dumoulin » correspondent à ceux qui avaient été relevés par G. Tessmann entre 1904 et 1907, chez les Fang du Rio Muni, notamment la ligne axiale du front et les arcs de cercle surmontant les arcades sourcilières, reliés par des arrondis plus petits. Compte tenu de sa morphologie, de son état de conservation, de sa patine et des relatives informations de provenance, cette tête fang à tresse ékuma des Betsi des affluents droit de l’Ogooué (Abanga, Okano) doit très probablement dater de la seconde moitié du XIXe siècle. En tout cas, voilà une sculpture qui, au plan esthétique et stylistique, mérite de figurer parmi œuvres les majeures de la sculpture fang. Louis Perrois
© Tessmann, Die Pangwe, 1913, vol. II, abb. 217, 218, 219, p. 262, 265, 266
English translation at the end of the catalog page 129
Repère bibliographiques : - Dapper musée 1991, Fang, textes de Ph.Laburthe-Tolra et Ch.Falgayrette-Leveau, extraits traduits de G. Tessmann, Die Pangwe, 1913. - Grébert F., 1941, Monographie ethnographique des tribus Fang. Bantous de la fo